Stage « collège » du 16 janvier 2025 - Intervention d’Hervé Le Fiblec de l’IRHSES

Construction historique du collège

La place de l’élève dans une société correspond d’abord à une fonction économique. C’est pourquoi on investit autant dans l’Éducation. L’Éducation publique s’est d’ailleurs développée au moment de la Révolution Industrielle.

Les enjeux du collège aujourd’hui ne sont pas conjoncturels mais liés à la façon dont s’est construit le collège. Le collège est depuis toujours qualifié de “maillon faible du système”. Le collège est remis en cause car son projet pédagogique n’a jamais fait consensus. L’école primaire est fixée depuis 1886. Le lycée est divisé en série depuis 1902. L’idée du collège unique est plus récente : on peut la dater de la loi Haby en 1975. La réforme Bayrou de 1996 a ensuite supprimé le palier d’orientation en fin de 5e : le collège depuis lors a vocation à scolariser tous les élèves de 11 à 14 ans.

Il y a un siècle comment étaient scolarisés les élèves de 11 à 14 ans ? Beaucoup n’étaient pas scolarisés : obligation scolaire jusqu’à 13 ans seulement.

  • Ceux qui l’étaient, l’étaient majoritairement dans le primaire. Le certificat d’étude était préparé à 13 ans. Puis le cours complémentaire (CC) pour préparer le brevet élémentaire.
  • Autre système en parallèle : le secondaire. Trois cycles, pour préparer au baccalauréat. Modèle élitiste, réservé à une minorité avec pour objectif l’Université.
  • Le primaire supérieur : enseignement primaire, gratuit pour les meilleurs élèves du primaire. Ouvert à tous les titulaires du certificat, en 3 ans ou 4 ans (pour ceux de moins de 13 ans), soit l’équivalent de la sixième à la troisième : enseignement général ou technique jusqu’au Brevet de l’enseignement primaire supérieur. Pas de Latin alors que dans le secondaire le latin figure à hauteur de 14h par semaine.

Ces 3 modèles vont structurer le débat par la suite.

Système des bourses : concernait principalement des élèves qui seraient allés au lycée malgré tout. Permet de façon extrêmement marginale aux élèves de milieu populaire d’aller dans le secondaire.
Le système par degré débute sous le Front Populaire et s’achève à la Libération avec la fusion du primaire supérieur et du secondaire. Suppression du cours supérieur. On va dans le premier degré jusqu’à 11 ans. Puis on entre dans le second degré avec le maintien d’une séparation entre l’enseignement classique pour les élites. On garde les cours complémentaires pour une raison économique (moyens humains pas suffisants) ainsi que pour des raisons idéologiques : selon les instituteurs, le CC serait plus adapté aux élèves des classes populaires.

En 1947, on crée le BEPC mais on garde le Brevet élémentaire : 2 diplômes qui vont être en concurrence jusqu’en 1960.

Années 60 : rationalisation pour répondre à l’arrivée des élèves du baby-boom et à la pression sociale pour la poursuite d’études des enfants, qui voit le jour au cours des Trente Glorieuses. A partir du “Plan” - projection à terme de l’évolution économique - appliqué à l’éducation, les niveaux de qualification, les systèmes éducatifs sont réformés :

  • Les collèges d’enseignement général (CEG) remplacent les cours complémentaires
  • Apparition du collège d’enseignement secondaire (CES) qui comporte dès la 6e 3 filières :
    Filière générale : destiné à aller au lycée général, puis vers les études supérieures.
    Technique long : après la 3e, lycée technique
    Technique court : préparation du CAP après la fin de la 5e.
  • 1969 : création des PEGC (enseignants en CEG, tri ou bi-valents recrutés à 80 % par concours interne réservé aux instituteurs).

Loi Haby 1975 : réforme du collège unique. La planification n’est plus à l’ordre du jour, c’est une réforme libérale.

  • Le collège unique supprime la distinction entre CES et CEG qui deviennent tous des collèges. Collège unique mais pas pour tous car il existe un palier d’orientation en fin de 5e. Avant Haby 12 % des élèves étaient orientés vers le professionnel. 10 ans après : 9 % des élèves dès la fin de la 5e vont partir vers le professionnel. La sélection sociale est très marquée !
  • Disparition des premiers cycles des lycées.
  • Suppression des 3 filières.

Milieu des années 80-90 : chômage de masse. Modèle économique lié au capital humain : nécessité d’une population active hautement qualifiée. Réforme de 1985, Chevènement, avec création des Baccalauréats professionnels. Suppression progressive des CAP, objectif 80 % d’une classe d’âge au niveau du Bac.
Le collège doit accueillir tous les élèves de la 6e à la 3e. Acté par la réforme Bayrou de 1996 : fin du pallier d’orientation fin de 5e.

Discours actuel sur le collège
La question du modèle pédagogique. Quelle est la culture commune que l’on veut donner à tous les élèves ?
• Le modèle des “cours complémentaires” porté par le SE-UNSA.
• Le modèle sélectif porté par le SNALC.
• Le modèle du primaire supérieur : modèle pédagogique de masse et de qualité en même temps qui correspond peu ou prou à celui défendu par le SNES-FSU.

Remise en cause du collège unique : les collègues de CM2 devraient trier les élèves comme ce qui se faisait avant. Pourtant, aujourd’hui, il n’y a pas de place sur le marché du travail avec une qualification inférieure à celle de la 3e. Lieu commun qui vise à discréditer le collège : au collège « ils désapprennent » sous-entendu : le premier degré est un modèle qui marche bien. En fait, les écarts de réussite sont déjà là et ont déjà la même détermination sociale. L’élémentaire peut-il réussir aussi bien avec 10 % de l’amputation des horaires qu’auparavant ? Les élèves qui arrivent aujourd’hui en 6e sont moins bien formés qu’en 2012.

Avant 1996, après la 5e les CPA et CPPM étaient des classes de mise à niveau mais dans les faits, des classes de relégation. Un enseignement professionnel qui n’est pas en adéquation avec le marché du travail est un enseignement de relégation.

Les travaux d’Alfred Yates (1968) critiquent la répartition et le regroupement des élèves en « types » auxquels devraient correspondre des « types » d’établissements et des « types » d’enseignants. L’homogénéité des publics scolaires (social et culturel) va conduire à accélérer les écarts.

Sylvain Connac dans ses études sur le travail en îlot, montre aussi que pour que ce travail soit efficace et permette à tous les élèves de progresser individuellement, le groupe doit être hétérogène et les élèves doivent avoir appris à travailler en groupe (partage de la parole notamment). Donc, le travail de groupe s’apprend.

La seule action de l’enseignement ne peut suffire à faire progresser les élèves.

On peut citer aussi les conclusions du rapport de Marie Duru-Bellat et Alain Mingat sur La gestion de l’hétérogénéité des publics d’élèves au collège (1997) :
“ Il a été montré que la constitution de classes hétérogène était sans doute la meilleure façon d’élever le niveau moyen de l’ensemble des élèves, au bénéfice des plus faibles et sans pénalisation notable des plus brillants. (...) l’organisation de classes hétérogènes de niveau par conséquent comparables (dont les élèves faibles tireront particulièrement profit) constitue dans l’état actuel des connaissances le moins mauvais des systèmes à l’exception des autres ... qui restent à imaginer ! “

Notre rôle en tant que militant ou militante
Avoir une vision claire de la situation permet d’avoir des arguments face aux collègues sans les prendre de front. Il faut porter un discours qui décentre, prendre en compte la réalité telle qu’elle est tout en amenant à prendre une distance critique.

Quelle acceptation des réformes par les collègues ? Ce qui est en jeu dans l’attitude des collègues c’est une prolétarisation subjective : peu importe ce que l’on fait, l’essentiel est de survivre.

Le syndicalisme doit viser, progressivement, pas seulement à rendre l’exercice des collègues possible mais aussi à promouvoir un modèle éducatif d’avenir.